Yoga Sūtras : les 9 obstacles à la pratique du yoga

Dans le cadre de nos cours autour du sympathique 😊 (nous sommes tous finalement d’accord sur ce terme…) Dieu-indien-éléphant-Gaṇeśa, nous nous sommes arrêtés cette semaine sur son aspect Vighnāntaka ou Vighneśvara = Seigneur des obstacles. Et il faut reconnaître que si beaucoup l’invoquent, où ont chez eux des représentations de ce dieu en particulier (merci merci à celles qui m’ont montré leurs petites mūrtis – cartes, statues… en début de cours, mais ne vous en faites pas trop avec cette histoire de trompe…), c’est précisément pour cette raison qu’il a capacité à retirer les obstacles de notre chemin et nous guider vers le succès de nos projets.

Gaṇeśa mudrā, réputée éliminer les obstacles de notre route…

Mais si Gaṇeśa est bien celui qui désobstrue la voie, faisant tomber les barrières, en tant que Maître, Seigneur, des obstacles, il est aussi parfois celui qui les pose en travers de notre chemin… Oh, non non non, pas par malveillance, bieeeeeeeen au contraire…, ce qui m’a fait réfléchir à cette célèbre phrase du bouddhisme zen : « l’obstacle EST la voie. ». Ce postulat façon koan japonais (disons affirmation contradictoire) servit de base à mon cours, et j’en ai bien assez parlé comme ça…

Non, ce que j’aimerais re-citer ici, ce sont les 9 obstacles – classiques, classifiés, répertoriés (vous vous souvenez que Gaṇeśa ou Gaṇapati est le roi des catégories…) – que l’on rencontre FORCÉMENT ! sur le chemin du yoga, et que l’on trouve au sūtra I.30 sous la plume de Patañjali et qu’il nomme antarāya(s). Littéralement en sanskrit, antarāya, « ce qui vient au milieu » ce qui vient se mettre entre… en travers… Une entrave !

Donc je vous les donne simplement sous forme de liste, avec différentes traductions (et réflexions…) qui me paraissent intéressantes et faire sens, dans le but que vous puissiez vous référer à cette « grille » et éventuellement identifier ce qui bloque votre progression sur le chemin du yoga. Les raisons pour lesquelles vous avez « du mal » à vous y mettre ou re-mettre… Qu’est-ce qui se met ENTRE votre tapis, et vous… Ces raisons sont universelles, et se manifesteront tôt ou tard (passé ce stade du « tout nouveau tout beau »). Mais pouvoir nommer et voir ses entraves (ainsi que savoir qu’elles sont partagées, rencontrées par TOUS les pratiquants) aide sûrement grandement à les amoindrir, à leur faire perdre de leur force, et cela est déjà « en soi » du yoga, cette branche que l’on appelle svādhyāya, l’étude ou, je préfère, l’observation de soi…

Eeeeet si vous voulez mon avis, cela ne vaut pas QUE pour le yoga… ce sont ces mêmes obstacles auxquelles TOUTES nos bonnes résolutions se heurtent, quoi que l’on décide de faire. Mieux vaut donc peut-être jeter un oeil ci-dessous… 😉

Les 9 obstacles (antarāyas) sur la voie du yoga

Ces obstacles peuvent être, comme le fait Monsieur Iyengar, classifiés en tant que : physiques (1 à 2), mentaux (3 à 6), intellectuel (7) et spirituels (8 à 9). Ou bien on peut y voir un lien de cause à effet de l’un à l’autre, comme l’interprète le Pandit Rajmani Tigunait. Mais ils peuvent aussi bien se considérer ET se manifester indépendamment les uns des autres… Et, en tous cas, tous sont réputés distraire ou disperser le mental : cittavikṣēpāḥ, l’avant-avant-dernier mot du sūtra qui les cite, et que certains considèrent comme un 10ème obstacle à part entière. Mais a-priori ils sont bien 9… :

« Vyādhi styāna saṁśaya pramāda ālasya avirati bhrānti-darśana alabdhabhūmikatva anavasthitatvāni cittavikṣepāḥ te antarāyāḥ » ॥30॥

_ Patañjali, Yoga-Sūtras I.30

  • Vyādhi : la maladie (ou la douleur). Sans doute la plus basique et la plus universelle des difficultés à se mettre au tapis (houuuuu, dur dur de pratiquer avec une rage de dents ou un dos bloqué…) La plus légitime également, car vous savez qu’il vaut mieux ne pas pratiquer lorsque vous avez « quelque-chose » d’aigu, une bonne grippe, une infection ou que vous êtes « en crise » (de sciatique par exemple)… Dans ces cas-là, l’heure n’est pas au yoga mais au repos et il est plus profitable alors, de se mettre sous la couette avec les bonnes « potions » et attendre d’être plus en forme pour retourner à sa sādhanā. On pourra peut-être voir-là l’intérêt de coupler Yoga et Āyurveda, la médecine traditionnelle de l’Inde qui saura, non pas chasser ou masquer les symptômes, mais bel et bien RAPPELER au corps l’état de bonne santé qui lui est naturel et ramener les humeurs (les doshas) à l’équilibre pour, notamment, une meilleure immunité. Maintenant, on ne peut pas tout éviter… Et il faut bien reconnaître que ce sont aussi souvent ces problèmes corporels et douleurs en tous genres, qui nous ont un jour amenés au yoga… L’obstacle EST la voie… ☺️

  • Styāna : classiquement l’apathie, la langueur ou l’inertie mentale (mais cela peut aussi être une certaine lourdeur ou stagnation, dans le corps). Disons le manque d’intérêt, d’enthousiasme ou de persévérance pour la pratique. Le manque de motivation. Littéralement ce qui est figé ou coagulé (on reconnaît-là un syndrôme kapha). Mais styāna pourrait aussi se traduire par procrastination. Le fait de reporter sa pratique à demain… Et le souci, avec ce « demain j’my mets », c’est que demain n’arrive jamais, car quand demain est là, il est à nouveau devenu aujourd’hui, et aujourd’hui, pfff, on n’a pas envie. Le remède, comme toujours avec kapha, c’est d’augmenter un peu le feu… tapas… qui grandit avec la pratique. Plus on pratique et plus on a envie de pratiquer. Le même appelle le même… Un principe de base en Āyurveda. Donc il faut trouver l’étincelle qui rallume la flamme…

  • Samśaya : le doute. Oooooooh, celui-ci, c’est un GROS GROS obstacle… que l’on retrouve également dans le bouddhisme (vicikicchā) parmi les 5 « freins » à la méditation. Les traductions modernes ont tendance à parler ici de douter de soi, de manquer de confiance en ses capacités. Je ne pense pas personnellement que ce soit le doute dont il s’agisse ici…(d’ailleurs, douter de soi peut nourrir l’humilité, et douter « tout court » ouvrir les portes de la connaissance, aussi douter n’est pas toujours négatif). Non, je crois que samśaya, l’hésitation, l’indécision, le dilemme (tel qu’Arjuna, partagé entre son devoir de guerrier et sa loyauté envers sa famille peut le ressentir au début de la Bhagavad Gītā), s’applique à la pratique elle-même. Douter de la voie sur laquelle on est. Douter de son maître, guide ou mentor. Des pratiques qui ont été enseignées. Des résultats sensés arriver. Douter « du yoga ». Cela pour moi est samśaya. Et c’est ennuyeux, car lorsque samśaya s’immisce, la magie meurt… L’on va parfois voir ailleurs, et on cesse de creuser son propre puits… Pour y remédier, il faut je crois se rappeler que nous ne sommes jamais là où nous ne devrions pas être. Que la vie toujours nous donne exactement ce dont nous avons besoin, ni plus, ni moins. En un mot nourrir la FOI, śraddhā, en la vie, en notre chemin, et en cette pratique millénaire qu’est le yoga. Se rappeler notre privilège de suivre cette carte tracée par nombre de « grandes âmes » passées avant nous. Faire confiance au PROCESSUS du yoga, et pratiquer sans, disait Thich Nhat Hanh, « se préoccuper d’arriver où que ce soit. »

  • Pramāda : la négligence. L’attitude, oh, et puis après tout je m’en fiche, ça ne changera rien. Le fait de prendre sa pratique à la légère. De ne pas en avoir finalement grand-chose à faire. L’insouciance. On traduit aussi par manque de régularité, inattention, ou intoxication (c’est même le sens premier !) !!! Avec, en arrière plan, l’idée d’ivresse. Mais on peut aussi interpréter que lorsque l’on est « intoxiqué », sous l’emprise d’émotions fortes (colère, peur, chagrin…), il est difficile de trouver le coeur de se mettre au tapis. L’antidote est sûrement ici d’apprendre à faire de sa pratique une priorité. L’habitude se prend vite finalement de la faire au réveil. J’ai également lu (mais z’où ???) que pramāda pouvait être « l’action précipitée ». Et, si elle ne me semble guère littérale, j’aime bien cette traduction car elle me fait penser à tous ces mouvements que l’on fait vite vite vite (petite chenille du pied…) pour éviter de recruter les muscles profonds… Une manière aussi, mais un peu en aparté, de « nuire » à la pratique…

  • Ālasya : la paresse, la fatigue, ou l’épuisement. Grosso-modo le manque d’énergie, qui, dans notre monde moderne peut aussi prendre la forme du burn-out. Peut-être le moment de choisir un yoga adapté, des postures plus YIN et restauratrices, plutôt que s’obstiner dans une pratique trop dynamique. Il faut savoir adapter sa pratique à son état physique et aux conditions que nous traversons, mais « faire quelque-chose plutôt que rien » (ne seraient-ce que quelques respirations conscientes, ou une petite série de « chats ») me semble toujours la meilleure option… Vous m’entendez aussi souvent dire que le yoga est là pour nous donner de l’énergie, pas pour nous en enlever. Donc rester à l’écoute de ses besoins est ce qui permet de « tenir » sur la longueur… Saaaaans s’endormir sur ses lauriers…, Ha ! pas toujours facile de discerner entre véritable épuisement ou « flemme » 😬… Donc écoute, et honnêteté, satyā…

  • Avirati : l’indulgence. C’est-à-dire le manque de modération, de contrôle ou de détachement par rapport aux choses matérielles. Les préoccupations sensorielles en général. On parle aussi de « dissipation » et même « d’incontinence ! ». Et pour résumer je dirais qu’avirati reflète notre incapacité à résister. Ce serait par exemple, manger trop lourd ou trop tard le soir et avoir du mal à se lever le matin pour pratiquer. Ou empiéter sur son yoga matinal pour se garder du temps pour le petit-déjeuner. Ou bien, à notre époque moderne, ce pourrait être se laisser « prendre », absorber, par le scrolling sur les médias sociaux ou les sites de vente et ne pas se rendre compte que l’on a consommé comme ça, touuuuut son temps-yoga ! 😬 Sans doute le conseil de Marie Kondo, se séparer de tout ce qui n’inspire pas la joie – relatif au rangement, mais je trouve le concept « extensible » à l’immatériel…, est-il une bonne manière d’éviter avirati… En tous cas, c’est une question d’équilibre…

  • Bhrāntidarśana : la vision erronée, la vision fausse de la réalité. Vivre dans l’illusion. Prendre le faux pour le vrai. Ou croire qu’il n’y a qu’une seule manière de voir les choses (la nôtre !). Mais c’est justement là tout le propos du yoga, de nous sortir de cette Māyā, de ce monde des apparences dans lequel nous vivons, je n’en dis donc pas plus… Bhrāntidarśana, c’est aussi la mauvaise compréhension. Et là je peux dire que souvent, lorsque vous commencez à venir à mes cours, vos n’osez pas refaire les postures à la maison, parce que vous avez peur de mal faire, d’avoir compris de travers, ou de ne pas vous rappeler des instructions… Bref, l’excuse parfaite 😊 ! Aussi je vous dis toujours, avec Beckett, « rate, rate encore, RATE MIEUX ! »…. Car c’est comme cela que l’on apprend dans notre dimension, en essayant, encore et encore, inlassablement…

  • Alabdhabhūmikatva : l’incapacité à s’élever à l’étape supérieure. L’incapacité à progresser. Et il faut là se souvenir que le yoga de Patañjali est « une échelle » à 8 barreaux, depuis les principes éthiques, yama-niyama, jusqu’à l’état d’union, de yoga, dit samādhi. Et Alabdhabhūmikatva, c’est l’incapacité à passer au stade suivant ou à acquérir les états yoguiques. Cette impression que l’on stagne, que notre pratique ne donne pas de résultats, que l’on « redouble » éternellement et qui fait que l’on se décourage. Plus banalement peut-être, l’incapacité à réussir une posture sur laquelle on travaille depuis longtemps. Maintenant, attention, car comme je vous le dis régulièrement : « souvent quand on ne peut pas, c’est qu’on ne doit pas… » (se mettre à l’envers, chercher à plaquer ses genoux au sol…) Le corps a une sagesse qui lui est propre, et de toute manière le yoga n’est pas une compétition. Faire confiance au « timing divin »… Tout n’est pas si compartimenté, et le passage d’un état à l’autre se fait je crois tout en nuances… en dégradé de couleurs plus qu’en « rayures franches et tranchées »… Oh, et une autre traduction possible… : le fait de ne pas être ancré… (bhūmi, c’est la terre)Une autre manière de dire à peu près la même chose… que si l’on est pas pleinement établi à un niveau, le suivant ne peut être atteint…

  • Anavasthitatvāni : la difficulté à rester dans les états établis. L’instabilité. Le fait de rechuter à l’étape inférieure, en gros le contraire de l’obstacle précédent… Et cela peut être quelque-chose d’aussi simple que de revenir au yoga après des vacances ou une interruption, et se rendre compte que l’on n’arrive plus à faire ce que l’on faisait… Parfois cela incite à laisser tomber… pourtant je crois que cela devrait nous motiver à pratiquer, car nous voyons bien la différence entre notre corps qui fait et notre corps qui ne fait pas. Pas d’inquiétude, rien n’est jamais perdu, les aptitudes acquises reviennent souvent avec un peu d’assiduité. Aptitudes physiques (selon l’âge de notre corps bien-sûr…), mais aussi états mentaux. Et je veux rajouter là, que lorsque les états ne « tiennent pas », c’est aussi parfois que notre système nerveux n’est pas encore équipé pour les soutenir sur le long terme… En un mot, ceci est, au contraire ! une invitation à PERSÉVÉRER… car il n’y a que de cette manière que l’on peut préparer notre corps (y compris subtil) à recevoir ce qui attend d’être donné…

Boooooon, maintenant que vous avez lu tout ça, voyez si vos excuses ne tombent pas dans l’une ou l’autre de ces 9 catégories… Quant à moi, l’un des empêchements que je rencontre régulièrement à ma sādhanā = préférer parfois me mettre au clavier plutôt qu’au tapis pour vous écrire ce genre de choses (je n’avais pas l’intention de développer autant 😅)… Aussi je vous laisse là pour l’heure, espérant que cela vous soit un tant soit peu utile…

Mais si vous en voulez plus, je pense que vous pourriez être intéressés par la lecture de ces deux articles :

  • Mythologie : à la rencontre de Ganesha où je raconte l’histoire du dieu-éléphant et la manière dont il acquit cette peu commune caboche… Ah oui, cette histoire de trompe est là aussi…
  • Yoga : se remettre au tapis après une interruption où il est également question de nos bonnes ou mauvaises excuses à reporter notre pratique… et où je donne des clés pour s’y remettre 🔑 … afin que la pratique devienne une base solide, bhūmi encore…, terre, terrai, terreau…

  • Ainsi que par la page méditer avec un mālā (108 perles), puisqu’il est dit dans les yoga sūtras toujours, que l’un des remèdes à ces obstacles ou disons, à ces distractions mentales, est justement la répétition d’un son ou mantra (« Quand tu as un souci tu chantes le souci », conseille Gurudev Sri Sri Ravi Shankar…), ce que l’on appelle japa en sanskrit. Car enfin ouf, s’il y a un souci, il y a une solution… Ou comme je vous l’ai dit en cours : nos problèmes SONT NOS PORTAILS !!!!!

Voilà… je vous souhaite de « passer sur » ce qui s’interpose, Gwenaëlle.