Yoga : se remettre au tapis après une interruption

Le yoga est une discipline de vie qui – mais c’est pareil pour tout apprentissage…-, porte ses fruits lorsqu’il est pratiqué de manière bienveillante, assidue, régulière, voire même, c’est ce que l’on trouve dans les textes : ININTERROMPUE. Pour BKS Iyengar dans Light on Yoga : « les qualités requises de la part d’un aspirant au yoga sont la discipline, la confiance, la ténacité et la persévérance à pratiquer régulièrement sans interruption. » Le 14ème sūtra de Patañjali au chapitre premier fait lui référence à « Abhyāsa », (la pratique, l’effort que l’on fournit pour cultiver un esprit paisible) et nous dit : « sa tu dīrghakāla nairantarya satkārāsevito dṛḍha bhūmih ». C’est-à-dire : que « cela » (Abhyāsa) n’est fermement établi que si l’on pratique (alerte trois clés d’or 🔑 à suivre…) pendant une longue période de temps (dīrghakāla), de manière ininterrompue (nirantara, littéralement « sans intervalle »), et dans un esprit de respect et de dévotion (satkārāsevito).

Il y a là l’idée de cultiver une terre (Patañjali emploie ce mot : « Bhūmi »), une terre à la fois ferme (c’est-à-dire une base, une fondation ou une plateforme sur laquelle on peut prendre appui pour s’élever spirituellement, ce qu’est votre pratique…) et une terre fertile (capable de donner des fruits, le résultat de votre pratique). Et j’aime bien cette notion de terre, terrain, terreau…, car elle nous fait bien comprendre, plusieurs choses : que l’on ne récolte pas le fruit le jour où l’on sème la graine ! Il faut qu’un loooooong laps de temps s’écoule… et que, même si c’est au final la magie de la vie qui opère et forme le fruit, il faut pendant toute cette période de maturation, que nous prenions soin de notre jardin (on a ça aussi dans le bouddhisme, l’idée de s’occuper du jardin, je dirais avec tendresse : « to tend the garden »)…, il faut que nous nourrissions le terrain, avec à la fois confiance et détachement, et ce tous les jours car on imagine bien que ce n’est pas en arrosant abondamment nos plants un jour puis en les laissant se dessécher ensuite des semaines que l’on obtiendra de beaux fruits… Non, nous devons nous y donner, nous mettre au service de notre terre. C’est ici le sens du mot sevito (ou sevita), racine sanskrite SEV qui veut dire SERVIR, honorer, chérir (on revient à « to tend » en anglais), élever, cultiver, pratiquer, se vouer à.

Cela renverse tellement notre manière de voir : ce n’est pas notre pratique qui est à notre service et se doit de nous donner quelque-chose en retour (le fruit n’est jamais « garanti »), c’est nous qui sommes le serviteur de notre pratique. Nous. Sommes. Le serviteur. De notre pratique. Avoir cela en tête nous replace, je trouve, dans une situation d’humilité ET de responsabilité vis-à-vis de notre pratique personnelle, et cela peut déjà en soi être une motivation à ne pas rompre le fil…

« La pratique ne devient véritablement une base solide que lorsque l’on s’y consacre pendant une longue période de temps, de manière ininterrompue et dans un esprit de dévotion ».

_ Patañjali, Yoga-Sūtras I.14 (traduction personnelle)

Quand la pratique est en panne…

Malgré tout, sachant cela, il arrive que notre pratique s’interrompe. Quelquefois pour de bonnes, souvent pour de moins bonnes raisons (encore que…). Soit que l’on a été malade (ou que nos enfants, ou notre professeur de yoga ont été malades, ça arrive !). Et vous savez que l’on ne doit pas pratiquer – je parle des āsanas – quand on est malade (fortement grippé par exemple) car les exercices peuvent tout faire circuler et aggraver les symptômes… Soit que l’on s’est blessé. Et l’on ne doit pas non-plus pratiquer en crise aiguë (je pense à des douleurs de type sciatique ou des hernies). Soit encore que notre pratique est devenue routinière, mécanique et non-plus consciente. On a la sensation que de se mettre au tapis le matin ne nous fait plus de bien, que cela nous en rajoute, nous épuise. Qu’on ne se « pose » plus. Qu’on ne va pas dans la bonne direction, voire que l’on s’abîme. Et dans ce cas bien-sûr, il peut être sage et salvateur de s’arrêter un moment pour laisser au corps le temps de se guérir, reconsidérer ce que l’on pratique, écouter nos véritables besoins et repartir « du bon pied ». Et puis d’autres fois, il arrive que la vie « se mette en travers » de notre pratique… On déménage, on part en voyage, en vacances, on « tombe » enceinte, on se fait opérer… bref, nos habitudes sont bouleversées, nos corps sont changés, on n’a plus d’endroit ou plus d’entrain pour pratiquer. On a peut-être aussi eu une grande épreuve à traverser, nous-même ou quelqu’un de proche que l’on a du aider. Émotionnellement, pour une raison ou pour une autre, on a été submergé(e) et l’on n’a pas réussi à se mettre au tapis. Ou bien tout simplement on s’est senti(e) démotivé(e), désenchanté(e) par sa pratique et on a « lâché »…

Et quand on a « lâché »…. ooooooooh, comme c’est difficile de s’y remettre !!!!! J’ai souvent vu ça, que quand vous annulez un cours une semaine, il n’est pas rare que je ne vous revois pas non-plus la semaine suivante, ni la suivante encore, parce que…. ah ! c’est tellement plus confortable n’est-ce pas, de ne pas pratiquer ou du moins, de ne pas faire tous les efforts que cela implique. Prendre la voiture, se lever tôt… on est tellement bien dans son lit le matin ! Et puis, quand on n’a pas pratiqué depuis longtemps, il arrive que les premières angoisses resurgissent, celles- là même qui nous paralysaient déjà avant de commencer le yoga initialement : la peur d’être regardé(e), de ne pas être assez souple, de ne pas y arriver... Le temps passe et l’on s’en veut, on se culpabilise, on s’auto-critique (« je suis trop nul(le) d’avoir arrêté, je ne me tiens jamais à rien ») et l’on tombe dans un espace intérieur de négativité qui s’entretient lui-même et dans lequel il ne fait pas bon être… À la longue, les douleurs se réinstallent, le mental revient moins facilement à la sérénité. Les bénéfices du yoga s’estompent. On n’a plus son équilibre. Bref, il est grand temps de reprendre… Oui, mais comment ? Allez, voici quelques astuces pour vous aider à re-dérouler votre tapis. (Oh mais si, il est bien quelque-part, vous avez regardé sous le lit ?!)

Le plus dur est fait !

14 astuces pour se remettre au tapis après un hiatus

  • réservez un créneau dans votre emploi du temps, marquez-le physiquement sur votre agenda, et prenez un cours. Même si vous avez l’habitude de pratiquer par vous-même, s’inscrire à un cours permet souvent de sortir du ronron de sa pratique personnelle, de s’obliger à re-pratiquer (c’est toujours plus facile avec l’énergie du groupe que tout seul) et de retrouver un peu d’élan. Si vous préférez pratiquer dans l’intimité et ne pas être vu(e) pour l’instant, prenez un cours vidéo et n’allumez pas votre caméra. C’est aussi une bonne option…
  • planifiez un co-voiturage : s’engager vis-à-vis d’autres personnes nous donne souvent une bonne raison de sortir et de ne pas manquer son cours. On fait plus facilement les efforts pour les autres que pour soi-même… (même si au bout du compte, ça nous profite aussi)…
  • offrez-vous un petit cadeau pour le yoga (neuf ou occasion) : oh ! loin de moi l’idée de vous inciter à consommer (personnellement je n’achète plus rien de neuf. Ni livres, ni meubles, ni vaisselle, ni vêtements, on peut tellement faire autrement aujourd’hui !)… L’idée, c’est plutôt d’intégrer un petit quelque-chose de nouveau à sa pratique (un legging, un coussin, une paire de chaussette, un plaid…) Bon, on est d’accord, c’est un peu trivial, mais souvent efficace pour redonner l’envie… et tout ce qui est efficace est bon à prendre. Considérez cet achat (ou ce ré-emploi, vous avez sans doute déjà plein de choses qui peuvent resservir) comme une offrande que vous faîtes à votre pratique.
  • Faites du propre. Nettoyer votre tapis ou votre espace yoga si vous avez la chance d’avoir un petit « sanctuaire » à la maison. Faîtes-vous un bel espace de pratique, « clean » et accueillant. Nul n’a envie de se mettre sur un tapis poussiéreux ! En revanche, un espace propre et bien entretenu « vous appelle ». Il y a là, comme dans ce sūtra 14, l’idée d’hospitalité. « Satkāra », c’est le respect, ou plus exactement, c’est l’accueil que l’on fait, c’est l’honneur que l’on rend à un hôte. Et faire du propre vous permettra, comme on le fait pour un invité…, d’accueillir votre pratique (dont vous êtes l’humble serviteur…), dans un bel endroit et dans de bonnes dispositions intérieures.
  • Massez-vous ! Avant (ou après) votre « première » pratique, massez votre corps pour éviter les courbatures du lendemain… Utilisez une huile végétale à l’arnica et éventuellement, ajoutez quelques gouttes d’huile essentielle de gaulthérie, de menthe poivrée ou d’eucalyptus citronné (toutes trois merveilleuses en cas de douleurs musculaires…)
  • Prenez un temps d’introspection… Avant même de reprendre, prenez un petit temps pour examiner, avec gentillesse et compassion vis-à-vis de vous même hein !, les raisons de votre interruption, puis celles qui vous donnent envie de revenir au tapis… Regardez ce qui n’a pas été, ce qui vous a « bloqué(e), ainsi que ce qui vous a manqué du yoga. Mettre tout ça au clair dans votre tête vous aidera sûrement à tirer les leçons de cette interruption pour ne pas répéter les mêmes erreurs et être plus « consistant(e) » par la suite.
  • Une fois au tapis, une seule règle : simplicité ! Ne cherchez pas à faire compliqué. Au contraire, allez au plus simple. Commencez par la respiration. Ou par simplement joindre les mains. Ou par une série de « chats » ou par un un « chien » si vous ne savez plus par quel bout prendre les choses. Et laissez venir… Laissez faire le corps… Faîtes ce qui se présente, soyez à l’écoute de vos sensations, c’est tout. Dîtes-vous que cette reprise est l’occasion de revisiter « vos basiques », de renouer avec ces postures « trop simples » que l’on délaisse parfois quand le corps est habitué à des variantes plus intenses, et qui ont pourtant beaucoup à nous enseigner et à nous apporter !
  • Ne vous préoccupez pas de ce à quoi cette séance est sensée ressembler. Personne n’a dit que votre séance de reprise devait durer une heure ou une heure et demie ! 10 minutes pour recommencer c’est déjà très bien. Et personne n’a dit non-plus que les postures étaient obligatoires… Si c’est trop tôt ou trop demandeur, un yoga nidrā, une relaxation, quelques cycles de respiration, c’est aussi du yoga !!!!! Et « le peu que l’on peut », c’est déjà énorme ! Si vous reprenez votre pratique par un cours en salle, ne vous sentez pas obligé de faire tout ce qui est proposé. Faîtes pour et en fonction de vous et de vos besoins du moment. C’est VOTRE séance…
  • Faîtes ce que vous aimez. Goûtez la posture, savourez l’étirement. L’idée est de reprendre plaisir à sa pratique. De se rappeler, jusque dans ses cellules, que le yoga fait tellement de bien !!!!! Votre pratique doit être un plaisir, pas une punition, car nous ne pouvons pas garder sur la longueur (dīrghakāla) une pratique (quelle qu’elle soit), qui ne nous donne pas de joie. Donc c’est important, essentiel même !, de trouver du bonheur à respirer, à s’étirer, à pratiquer. De retrouver les sensations qui font du bien.
  • Pratiquez en douceur, ne forcez pas, « supportez-vous » ! Il faut accepter que le corps avec lequel vous reprenez le yoga n’est plus tout à fait le corps que vous aviez il y a quelques semaines ou quelques mois. Pliez les genoux ! Mettez des briques sous les mains ! Utilisez une sangle ! Prenez TOUS les supports, faîtes TOUS les ajustements, dont vous avez besoin. Pour moi c’est ça, une pratique avancée. Une pratique « avancée », ce n’est pas pouvoir tout faire sans avoir besoin de supports, c’est savoir, c’est sentir, quand on a besoin d’un support, et de le prendre !!!!
  • Pratiquez avec gratitude et empathie… N’écoutez pas votre discours intérieur négatif qui vous culpabilise et ne voit que ce que vous n’êtes pas ou plus capable de faire (c’est décourageant et contre-productif !). Au contraire… Félicitez-vous d’avoir réussi à revenir. Ayez de la reconnaissance pour ce que votre corps est capable d’accomplir. Oui je sais, vous descendez moins qu’avant dans les flexions… ce n’est pas grave… vous êtes là, c’est merveilleux !!!! Voyez plutôt le verre à moitié plein. Ne comparez pas le corps d’aujourd’hui au corps d’hier…
  • Faites confiance au processus du yoga. Quand on s’est arrêté pendant longtemps on a quelquefois l’impression de repartir de « zéro ». Mais ce n’est qu’une impression je vous assure, car quand on a déjà eu une habitude de pratique régulière, ce qu’on avait « gagné » (en souplesse, en sérénité…) revient plus vite que quand on s’y met la toute première fois. Il y a une mémoire du corps qui n’attendait que votre retour… et sans ce retour, pas de récompense, alors patience… (et confiance, c’est important de croire en ce qu’on fait, quoi que ce soit).
  • Tenez un journal de pratique, dans lequel vous écrirez votre ressenti après vos séances. Le relire régulièrement vous aidera à rester motivé(e). C’est même là je pense, que vous trouverez vos meilleurs arguments et sources de motivation !
  • Souvenez-vous de ce que j’ai souvent entendu de la part d’anciens pratiquants (plus âgés, il y a un âge où certainement cela devient plus difficile encore de s’y remettre…) avec une pointe de regret dans la voix : « Ah le yoga !… Je n’aurais jamais dû arrêter ! ». Parfois, on apprend quand même de l’expérience des autres… Et en l’occurence, il en va de votre qualité de vie…

« S’il faut que vous abandonniez et recommenciez des milliers de fois, c’est bien. C’est la pratique. »

_ Sharon Salzberg

Tout ceci étant dit, ce que je voudrais surtout que vous reteniez, c’est qu’on peut toujours recommencer. On peut toujours prendre un nouveau départ. On peut toujours revenir au tapis. On peut toujours revenir à soi. Et que non-seulement on peut toujours revenir, mais que c’est justement cela, la pratique. La pratique ce n’est pas se morfondre ou se culpabiliser parce qu’on a décroché (ou qu’on a fait une erreur) et qu’on n’aurait pas « dû ». C’est trouver la force, l’élan, l’énergie, le courage de revenir. Et c’est cet éternel retour-même ; c’est votre persévérance à constamment revenir qui EST la véritable pratique, la véritable Abhyāsa. Appelez-la maintenant pratique, persévérance… ou résilience.

Voilà… je vous souhaite de bien vite « reprendre le pli », Gwenaëlle.