Le yoga… Nous y venons souvent pour pratiquer les postures sans savoir ce que ce mot veut dire… sans réaliser même que c’est un mot à part entière et qui a un sens… Peut-être d’ailleurs, parce qu’on ne voit pas toujours le rapport, et c’est compréhensible, entre ce que l’on pratique au tapis et le sens de ces quatre lettres…
C’est souvent donc par cette définition que je commence mes cours en début d’année… C’est par là aussi que j’ai envie de recommencer ici… par les basiques, par les mots… définir ce dont on parle pour mieux comprendre, car lorsque nous comprenons (littéralement « prenons en nous »), lorsque nous traduisons, nous pouvons nous approprier un concept, il nous devient familier et non-plus lointain ou étranger et lorsque nous ouvrons le mot, ce « tiroir aux trésors », ses multiples messages commencent à se révéler et à faire sens en nous. Commencent à agir en nous, à nous parler « en profondeur », quelquefois même à nous guérir. YOGA est l’un de ces mots qui parle à l’âme et dont le sens semble indéfiniment et tout autant lorsqu’on s’y penche, s’élargir que se préciser.
« Yoga » est un mot sanskrit, la langue ancienne de l’Inde, qui n’est pas, cela dit, une langue « morte » comme le latin chez nous mais une langue toujours parlée dans certains cercles littéraires, scientifiques ou érudits. C’est aussi la langue du yoga, la langue dans laquelle ont été écrits les textes sacrés de l’Inde, dans laquelle on dit encore le nom des postures aujourd’hui.
Dans le dictionnaire, « yoga » veut dire union, unir, joindre, relier, se relier… Le mot lui-même vient de la racine YUJ (prononcez « youdge »), qui, chez nous, (le sanskrit est une langue indo-européenne et l’on retrouve beaucoup de ses radicaux en français), a donné « joug » (c’est le mot le plus proche), « yoke » en anglais, « Joch » en allemand, on n’est pas loin non-plus… Le joug, c’est cette pièce de bois que l’on posait au garrot des bœufs ou des chevaux pour les faire travailler de concert, et l’on a bien là, l’idée de joindre, de mettre deux ensemble, de « faire de deux un » selon l’expression biblique… On retrouve également cette idée d’unir dans les autres dérivés de YUJ que sont « conjuguer », « conjugal », « conjoint », « jonction » ou « jugulaire » (la gorge, le lien entre la tête et les épaules). On la retrouve même, de manière un peu plus indirecte, dans le mot « zygote », la cellule initiale, la cellule première, la cellule-une…
Le joug, c’est aussi le fléau, c’est-à-dire la barre horizontale sur laquelle reposent les deux plateaux d’une balance (je parle des balances à l’ancienne…), ce qui ajoute à la notion de lien celle d’équilibre, également chère au yoga… Une notion déjà sous-jacente dans notre première image du joug, le collier d’épaule, qui, outre à réunir, vise aussi à répartir, à partager les charges, et ce, en vue ne pas blesser l’animal (c’est ahimsâ, la non-violence, principe premier du yoga), ni entraver sa respiration, une autre notion d’importance en yoga…
Mais si la comparaison agricole du joug est juste et parlante dans l’Inde agraire ancienne comme pour nous aujourd’hui, il faut bien admettre qu’aux temps des Upanishads (les textes où le mot « yoga » apparaît pour la première fois, entre 800 et 500 avant notre ère), « yoga » est un verbe et il signifie « atteler ». Atteler, non pas deux paisibles bovins à leur charrette ou charrue, mais des chevaux fougueux à leur char de guerre ! Une tâche pas toujours aisée, que celle de maîtriser ces équidés plein d’allant et d’énergie, comme le sont aussi nos sens indisciplinés emmenant notre esprit où bon leur semble. Le yoga nous parle en métaphores, et finalement, c’est cela qu’il nous propose, apaiser le mental, calmer la fougue des pensées galopantes. C’est le sens qu’il prendra dans les yoga-sûtras de Patanjali. À cette époque (entre – 200 avant et 500 après Jésus-Christ), le mot « yoga » devient un nom, la description d’un état intérieur, de paix et de « reliance ». De connexion à tout ce et à tous ceux qui existe(nt)…
« Yoga, en essence, décrit à la fois une pratique et une manière d’être dans lesquelles nous réalisons l’unité inhérente derrière la multiplicité des expressions de la vie. »
_ Donna Farhi (Bringing yoga to life)
Et au tapis, que s’agit-il donc de relier ?
- Lier déjà le geste et la respiration, ce par quoi souvent l’on débute en yoga… Inspire, et le bras monte… Expire, il redescend… Des pratiques simples, étonnamment très apaisantes…
- Relier les doigts entre-eux, dans les mudrâs, comme dans pranam ou anjali mudrâ par exemple où l’on vient joindre les paumes, connecter les deux hémisphères de notre cerveau ou comme dans chin mudrâ ou l’on relie l’index et le pouce, la conscience individuelle et la conscience universelle.
- Relier le corps à l’esprit, ce que l’on entend partout !, mais que vous faites très concrètement, lorsque vous vous connectez à votre respiration, lorsque vous focalisez, dirigez toutes vos pensées, toute votre attention, sur cette sensation, sur ce moment présent, sur ce que vous êtes en train de faire avec votre corps (une posture par exemple).
- Et si cette posture est celle d’un arbre, d’un animal, d’un grand sage ou d’un dieu, vous vous reliez aussi à ces êtres, vous expérimentez, vous incorporez d’un bout à l’autre, le spectre de la création, jusqu’à, un jour… étant passés par toutes ces formes, pouvoir vous unir à la source même de cette création, dans cet indicible état de fusion où il n’y a pas d’autre… pas de séparation… où il y a unité… « yoga ».
« Te trouver en tout
et tout trouver en toi est sagesse. »
_ Vijay Gopala
Voilà… je vous souhaite de jolis mots de liaison, Gwenaëlle.