Inspirée allez savoir, par l’arrivée du printemps (saison de renouveau, de résurrection et de grand nettoyage !), par la fête de Holī en Inde à la pleine lune de février-mars (où traditionnellement l’on brûle tout ce qui n’a pas servi depuis un an pour repartir « à neuf »), ou bien déjà, par la perspective d’un re-re-confinement (…), j’ai nettoyé et réorganisé toute ma cuisine la semaine dernière, jusque dans ces moindres recoins. Alors, outre les quelques réflexions sur nos schémas de mouvements et de fonctionnement dont je vous ai parlé dans les cours qui ont suivi, j’avais envie de partager avec vous quelques réflexions autour de ce rangement et sur ce qui serait pour moi une cuisine minimaliste et durable… (non, non, ce n’est pas forcément ce que vous pensez…)
Depuis longtemps déjà, les études nous disent en gros, que « moins on possède d’objets plus on est heureux »… Et il suffit d’avoir voyagé dans des pays où l’on a moins pour s’en rendre compte, ou pour se rendre compte en tous cas que ce n’est pas parce qu’on a plus qu’on est plus heureux, ni plus généreux… Il suffit peut-être de faire le lien entre le fait que, dans les pays économiquement riches, nos maisons sont devenues de véritables entrepôts (on a de la place alors on stocke, on stocke, on loue même des garde-meubles pour arriver à tout « caser ») et le fait que l’anxiété (même pré-covid) est en hausse exponentielle dans nos contrées, pour s’en convaincre. Au final, nous sommes loin d’utiliser tout ce que nous avons et on ne sait même plus de quoi sont remplis nos placards… Ce sont les objets qui nous encombrent et nous possèdent, le contraire d’une maison ou d’une cuisine en l’occurrence, simple, minimaliste, durable et paisible.
La vraie cuisine minimaliste
Ne nous leurrons pas… Au delà d’un design et d’un concept aujourd’hui « à la mode » (et c’est sûrement très nécessaire…), une vraie cuisine minimaliste, ce ne serait pas celle des catalogues, mais celle par exemple, que j’avais lorsque je vivais en Inde… Un sol de terre battue, un îlot central carrelé sur le dessus où trône une grande cruche en terre, dans laquelle je gardais au frais l’eau tirée du puits pour la journée, et un bloc de béton percé de deux ou trois trous en guise de « cuisinière à bois ». Dans cette cuisine, sommaire mais que j’ai tellement aimée, je ne produisais AUCUN déchet non-compostable lié « au manger » puisque « les courses » étaient enveloppées dans du papier journal recyclé de la veille, et que les épluchures de fruits et légumes étaient toutes rendues à Dame Nature. Une feuille de bananier pouvait servir d’assiette, et la main droite de fourchette. Aujourd’hui que je suis rentrée en France et que je vis avec ma petite famille, nous avons d’autres besoins et nos conditions sont différentes, mais nous faisons de notre mieux. Nous achetons en vrac, nous évitons tant que possible le plastique à usage unique, nous produisons une partie de notre nourriture, et nous compostons tout ce que nous mangeons. Mais nous avons la chance de vivre à la campagne et cela est possible pour nous. Les circonstances de chacun sont différentes, il faut faire ce que nous pouvons, ne pas vouloir la perfection et éviter de se juger les uns les autres…
Minimaliste sans être triste
Sous nos latitudes et dans nos catalogues donc, on a tendance à penser qu’une cuisine minimaliste est une cuisine (ou une maison) quasiment vide, monochromatique, spartiate, froide, où rien ne dépasse d’un intimidant mur de placards hermétiquement fermés, où rien ne semble VIVRE ! Alors même si personnellement j’affectionne un style blanc-bois épuré, une cuisine minimaliste, ce n’est pas forcément ça. Pas forcément, une seule tasse, une seule assiette, un seul verre par personne. Pas forcément la restriction et la non-vie. Non, une cuisine minimaliste n’est pas une cuisine qui a un style particulier. C’est une cuisine je crois organisée (« ce qui va ensemble va ensemble », mon mantra quand je range !), facile à nettoyer (on essaie de garder les plans de travail inencombrés… même si les miens sont à cette heure garnis de semis de légumes en attente, ce qui n’en fait pas moins une cuisine durable, bien au contraire…), une cuisine où les choses dont on se sert tous les jours sont faciles à attraper et à ranger par tous les membres de la famille quelle que soit leur taille ou leur motivation ! Une cuisine où l’on s’efforce de ne pas remplir tous les espaces vides, pour qu’elle « respire »…
« Le désordre étouffe,
la simplicité respire ».
_ Terry Guillemets
Au-delà de ça, bien-sûr qu’on peut y mettre de la couleur et le nombre d’objets qui nous plaît ! Le minimalisme à mon sens, c’est avoir des objets que l’on aime, soit parce qu’ils sont beaux à nos yeux, soit parce qu’ils ont pour nous une valeur affective (et ils ne sont pas forcément de couleur neutre…), c’est avoir des objets dont on a envie de prendre soin et des objets dont on se sert. Tout y est utile, que ce soit pour nourrir le ventre, émerveiller les yeux ou réconforter le coeur. Pour le reste, nous pouvons revendre ou donner nos objets en trop (il existe de multiples « vides-greniers permanents » ou recycleries maintenant), les remettre « dans le flux de la vie » et accepter qu’ils fassent le bonheur d’autres personnes. Cette manière de faire nous aide je pense à accepter l’idée que même « propriétaires », nous ne sommes finalement que que les locataires de nos maisons, que les utilisateurs pour un temps de nos objets et qu’il nous faudra de toute façon un jour ou l’autre nous en séparer et les léguer à d’autres passagers de la terre… C’est toujours ce à quoi je pense en utilisant « mes » louches ou « mes » égouttoirs de grand-mères, que je suis leur propriétaire provisoire et que j’honore ainsi les précédents et les suivants… Sur une note un peu plus légère, cette attitude de rendre ce qui ne nous est pas ou plus utile au lieu de « stocker » est particulièrement bénéfique au printemps, saison où tout le Kapha (en termes āyurvediques), toutes les stagnations de l’hiver se liquéfient et doivent « re-circuler »… Ce n’est pas pour rien que le grand ménage se fait au printemps…
La qualité sans se ruiner, ni polluer
Avoir une cuisine minimaliste pour moi, c’est aussi choisir des objets non-toxiques et durables, faits dans des matériaux comme le verre (recyclable à l’infini), le bois (100% compostable), la fonte ou l’inox (ce qui fait dire à mon compagnon qu’on ira désormais dans les vide-greniers avec un détecteur de métaux !!!! 😂). Privilégier la seconde main est aussi un excellent moyen d’avoir des objets de qualité (souvent anciens et de bonne fabrication), pour pas cher (ah, cette cocotte en fonte orange chinée pour un euro dont on se sert presque tous les jours !) et originaux (très contents de ce meuble TV vitré avec un oeil d’Horus qui nous sert de garde-manger et qu’on n’aurait jamais trouvé ailleurs que sur le b. coin)… Et ce, sans avoir contribué à produire de nouveaux matériaux ni avoir fait marcher les circuits de vente habituels.
« Achetez moins,
Choisissez bien,
Faîtes-le durer. »
_ Vivienne Westwood
Avoir une cuisine minimaliste, c’est penser à réemployer ce que l’on a d’une autre manière, penser créativement, penser surtout à ce que nos objets deviendront quand on n’en aura plus besoin : iront-ils nourrir la terre ou polluer les décharges et les océans ? C’est LA question à se poser avant d’acheter ou de jeter… Alors oui, il y a parfois du plastique dans une cuisine durable, parce qu’on veut l’user jusqu’à la corde plutôt que de le jeter pour ne plus l’avoir sous les yeux… Je dis quelquefois à ma fille que tout ce qu’on jette est « un échec », et qu’il vaut mieux chercher à ré-employer, à donner « une deuxième vie », plutôt que de systématiquement jeter ou acheter du neuf. Bref à « créer avant de consommer »…
D’ailleurs, on n’est pas obligé de dépenser des sommes folles pour avoir un mode de vie plus respectueux (le sans-déchet, très en vogue et très photogénique sur les réseaux sociaux, a parfois un coût rédhibitoire…). Mais on n’a pas forcément besoin d’acheter au prix fort les dernières bouteilles isothermes à la mode, les éponges lavables, les sacs à vrac, les filets à provision en coton, ou les recouvre-saladiers enduits de cire d’abeille… On peut aller loin avec du fil et une aiguille ou des bocaux ou bouteilles de récupération ! (Et j’espère bien d’ailleurs pouvoir vous mettre ici quelques tutos de temps en temps…)
La récompense de l’abondance
Alors je ne sais pas si ma vision de la cuisine minimaliste correspond à la définition « officielle » et cela m’est un peu égal… Faire du tri dans ma cuisine et la réagencer de fond en comble m’a fait du bien (une manière aussi de la remercier), et nous l’apprécions et y fonctionnons mieux maintenant. Nos regards se posent sur des espaces désencombrés, harmonieux, ce qui favorise un esprit plus calme et apaisé. Cela nous « oblige » également à utiliser ce que nous avons de beau au lieu de garder telle tasse ou tel plat pour telle occasion, pour « le jour où »… Aujourd’hui est le jour ! Chaque jour est un jour spécial qui mérite d’être célébré. Et utiliser tous les jours « la vaisselle du dimanche », quelque-part rend la vie plus belle (ce serait pareil d’ailleurs pour les vêtements).
« Alléger sa vie ce n’est pas uniquement
se débarrasser de ce qui encombre,
c’est aussi faire de la place au beau. »
_ Dominique Loreau
Mais surtout, je pense que vivre de cette manière (aller régulièrement voir au fond de ses placards, recycler, ré-employer de manière créative au lieu de consommer, s’entourer de beau sans qu’il n’y ait trop), paradoxalement (« less is more »), nous donne la récompense de l’abondance… Nous permet de réaliser touuuuut ce que nous avons (et nous avons tellement plus en Occident que les humains n’ont jamais eu sur cette planète !!!!). Nous permet d’avoir « conscience de l’abondance », ainsi que Nischala Joy Devi définit ce que le yoga appelle « Aparigraha », habituellement rendu par « non-attachement ». J’aime passionnément cette traduction ! C’est une expression qui me vient spontanément et très souvent à l’esprit maintenant que je l’ai lue. Quand je vais dans notre potager, quand je cherche un objet dans ma maison et que je vois que toujours, « la vie pourvoit »… Conscience de l’abondance et non-attachement… Oui, car il est bien certain que si nous savons que rien ne manque, nous nous attachons moins aux choses (au passé 🤫…). Nous nous inscrivons dans la fluidité de la vie et nous éprouvons une profonde gratitude pour ce qu’elle nous donne. Nous comprenons que ce ne sont pas les objets matériels qui font le bonheur, qu’acheter ne résout pas tous nos problèmes, que nous avons finalement besoin d’assez peu pour être heureux, et peu à peu nous perdons ce besoin de posséder, et c’est le début de la spiritualité !
Voilà… je vous souhaite de ne manquer de rien, Gwenaëlle.