Le chant de l’âme

C’est un magnifique poème ! Le nirvāṇa (ou ātma-) ṣatkam, littéralement le chant de l’âme, fût composé il y a plus de mille ans, par l’un des plus grands mystiques (Ādi Śaṇkara) que l’Inde ait connu, en réponse à un sage qu’il rencontra dans les montagnes alors qu’il arpentait le pays en quête d’un maître spirituel. Mais… tous ceux qui errent ne sont pas perdus 😊 ! et Swāmi Govindapada Ācārya, le maître qui, à l’évidence, venait d’apparaître au-devant de lui, se révéla en lui posant cette simple mais profonde question : « qui es-tu ? »…

À cette énigme existentielle – que le yoga ne cesse également de nous poser à nous-mêmes… -, Śaṇkara répondit en six strophes (ṣatka = 6), reprenant pour mieux les transcender nombre des concepts de la philosophie indienne (la conscience, le prāna, les différents corps subtils, les éléments, la relation maître-disciple, le nom et la forme etc…). Dans son texte, il nous fait comprendre ce que l’âme n’est pas, retirant couche après couche, les fausses identités que l’on croit être nous-même et réaffirme ce qu’est le vrai dévot : celui qui n’est plus rien…, rien que l’objet de sa dévotion…, celui qui ne fait plus qu’un, en l’occurence pour lui avec le Seigneur Shiva, le « dieu du yoga », le dieu qui retire les voiles d’illusion. Je ne sais pas si ce poème vous parlera (il est assez « technique »), mais j’avais envie d’en avoir les paroles quelque-part pour quand j’ai envie de les retrouver. C’est donc un plaisir de les partager ici avec vous, ainsi que leur fondamental message : notre identité véritable est sans forme, elle ne peut être touchée ni appréhendée par nos sens ou notre mental, elle est joie, joie absolue, joie et conscience.

Statuette du dieu Shiva dansant

Le nirvāṇa ṣatkam d’Ādi Śaṇkara :

(Librement traduit du sanskrit et de l’anglais d’après diverses sources).

manobuddhyahaṇkāra cittāni nāham
na ca śrotrajihve na ca ghrānanetre
na ca vyoma bhūmir na tejo na vāyuḥ
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Je ne suis ni le mental, ni l’intellect, ni l’ego (qui composent « citta », la conscience)
Je ne suis ni ce qu’entendent les oreilles, ce que goûte la langue, 
              ce que respirent les narines, ou ce que les yeux voient.
Je ne suis ni le ciel ni la terre, ni le feu ni le vent,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

na ca prānasaṇjño na vai pañcavāyuḥ
na vā saptadhātur na vā pañcakośaḥ
na vākpāṇipādam na copasthapāyu
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Je ne suis ni la respiration (prāna) ni aucun des cinq souffles,
Je ne suis aucun des sept composants du corps physique, ni aucun des cinq corps (kośa),
Je ne suis ni la parole, ni le toucher, ni la faculté de marcher, ni celles de procréer ou d’éliminer,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

na me dveṣarāgau na me lobhamohau
na me vai mado naiva mātsaryabhāvaḥ
na dharmo na cārtho na kāmo na mokṣaḥ
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Il n’y a pas non-plus en moi, ni goût ni dégoût, ni convoitise ni illusion,
Je ne nourris ni orgueil, ni sentiment de jalousie,
Je n’ai ni Devoir, ni Argent, ni Désir, pas même celui d’être Réalisé,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

na puṇyaṃ na pāpaṃ na saukhyaṃ na dukhyaṃ
na mantro na tīrthaṃ na vedā na jajña
aha bhojanam naiva bhojya na bhoktā
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Je ne commets ni bonnes ni mauvaises actions, je ne connais ni plaisir ni douleur,
Je n’ai besoin ni de maṇtras, ni de pèlerinages, ni de Vedas, ni de rituels,
Je ne suis ni l’acte d’observer, ni l’observateur, ni l’observé,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

na me mṛtyuśaṇkā na me jātibhedaḥ
pitā naiva me naiva mātā na janmaḥ
na bandhur na mitra gurunaiva śiṣyaḥ
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Je n’ai pas peur de la mort, je n’ai ni caste ni étiquette,
Je n’ai ni père ni mère car je ne suis jamais né, 
Je ne suis ni parent, ni ami, ni maître ni disciple,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

aha nirvikalpo nirākāra rūpo
vibhutvā ca sarvatra sarvendriyāṇa
na cāsangata naiva muktir na meyaḥ
cidānandarūpaḥ śivo’ham śivo’ham

Je suis l’un sans second, je suis sans forme propre,
Je suis la substance omniprésente qui imprègne tout ce qui existe,
Je ne suis pas attaché, je ne suis ni libre ni emprisonné,
Mon essence est Conscience et Béatitude, je suis Śiva, je suis Śiva.

Voilà… je vous souhaite de belles rencontres d’âmes sur le chemin de la vie, Gwenaëlle