Je me souviens d’une professeur d’anglais, ce devait être en classe de première… et qui, dans ses tentatives réitérées de nous faire participer (ce n’est pas un âge où l’on parle beaucoup, du moins en classe…), à la fin de chaque texte, de chaque étude ou de chaque leçon, alors qu’un patient silence régnait dans les rangs, finissait immanquablement par nous poser cette question… ce qui nous amusait franchement beaucoup car elle avait je dois dire, un accent abominable ! : « Is it Trou !!!! » « Is it true ? »… « Est-ce que c’est vrai »… ???
Nous n’avions pas, je n’avais pas, à cette époque, la maturité de réaliser la profondeur, la pertinence, voire la capacité de guérison contenue dans cette question… Pourtant, nous pouvons TOUT examiner de notre vie à l’aune cette interrogation… (C’est d’ailleurs tout le travail, et c’est justement comme cela qu’elle l’appelle : « the work »…, d’une femme qui s’appelle Byron Katie et que je ne veux pas oublier de citer ici…) Nous pouvons tout passer au peigne fin de cette interrogation. Tout de ce que nous vivons, ressentons. Tout ce qu’on nous raconte, tout ce qu’on se raconte. Toutes nos histoires. Toutes nos pensées. Toutes nos affirmations. Certitudes. Tous nos discours intérieurs négatifs.
Quelques exemples parmi les choses que j’entends actuellement :
- – j’ai peur… – est-ce que c’est vrai ???? – oh c’est vrai ! c’est vrai ! c’est la réalité de ce que je ressens, c’est ce qui se passe pour moi. C’est vraiiiii ! Mais… ne puis-je pas poser les mains sur mon coeur, trouver une part de moi, un endroit de moi qui, sous la surface mouvementée des choses, se sent en sécurité et en paix ?
- Autre exemple : – on va tous mourir ! 🥶- est-ce que c’est vrai ???? (silence sur les tapis cette semaine… ☺️) – c’est vrai ! Nous allons TOUS mourir (et j’aimerais tellement parfois que l’être humain réalise véritablement que nous allons tous mourir)… Mais… – est-ce que c’est vrai maintenant ? – et, est-ce que c’est vraiment vrai ? Le corps va mourir. Est-ce que je suis le corps ? Est-ce que je ne suis que le corps ? Ou bien y a-t-il en moi une part d’éternité qui ne meurt jamais ?
- Petit extrait d’une conversation téléphonique que j’avais avec ma maman : – c’est sûr que là, il va nous falloir compter sur un peu d’aide « divine »… – oui, parce jusqu’ici on n’a pas été beaucoup aidés. Est-ce que c’est vrai ??? Est-ce que c’est vrai ce que je dis, qu’il va nous falloir un peu d’aide divine ? N’a t’on pas en nous, nous êtres humains, les ressources et les capacités suffisantes pour faire face à toute situation qui se présente ? Et, est-ce que c’est vrai ce qu’elle dit, qu’on n’a pas beaucoup été aidés jusqu’ici ? Est-ce que les choses n’auraient pas été, ne seraient pas pires si nous n’avions pas reçu un peu d’aide extérieure ??? Je veux dire, je ne sais pas…
Et nous y voilà… Lorsque nous osons sincèrement nous poser cette question : « Est-ce que c’est vrai », invariablement, nous sommes ramenés à « je ne sais pas ». À l’humilité de ce qu’on appelle en anglais dans le bouddhisme « Don’t-know mind ». Un esprit qui a-priori n’a pas décidé quoi penser ou tiré de conclusions. Et c’est merveilleux ! « Je ne sais pas », c’est le début de la spiritualité. « Je ne sais pas », ce n’est pas l’apologie de l’ignorance. Au contraire ! c’est le début de la quête de vérité, de la quête intérieure. Et personne ne peut devenir un « chercheur d’éveil » si, ou tant qu’il, ne sait pas qu’il ne sait pas. C’est la base… Nous ne savons rien du grand mystère de la vie. Nous ne savons rien de notre vraie nature… Juste une petite précision : « Don’t-know mind », cet état d’esprit « neutre », « qui ne sait pas », qui accorde « le bénéfice du doute » n’est pas une position sur laquelle on « campe » éternellement dans un refus de savoir ou de choisir, c’est une manière d’aborder la vie et chaque situation nouvelle avec fraîcheur, sans biais ni préjugés. C’est avoir la volonté, l’honnêteté et le courage d’explorer tous les aspects d’une question avant de décider de ce qui est juste ou pas. De ce qui est vrai, ou non.
« La vie est comme ça. On ne sait rien. On dit que quelque-chose est mal. On dit que c’est bien. Mais en réalité, on ne sait simplement pas. »_
_ Pema Chödrön
Dans le cadre du yoga, je rapproche cette notion (« Don’t know mind ») de ce que Patañjali, au sūtra II.33, appelle « Pratipakṣa Bhāvana »… Pakṣa, c’est une aile, une aile d’oiseau. Et Prati, c’est « l’autre aile », la deuxième aile. On parle souvent en Occident pour définir ce concept, de « positivité » car Patañjali propose grosso modo de remplacer une pensée négative par une pensée positive (« Lorsque tu es perturbé par des pensées négatives (Vitarka Badhane), cultive l’état mental opposé (Pratipakṣa Bhāvanam) », écrit-il.). Pour moi, « Pratipakṣa Bhāvana », c’est un changement de perspective. C’est, comme j’aime à le dire, « pratiquer » ou mieux, « contempler le contraire »… (Bhāvana implique une activité mentale). Ah ! plus facile à dire qu’à faire ! Et pourtant… « Pratipakṣa Bhāvana » est un outil particulièrement simple mais efficace lorsqu’on se trouve dans un état psychologique difficile, négatif. Quand on est face à un problème qui nous semble insoluble (je sais qu’on n’aime pas l’entendre, mais la solution est souvent dans ce que l’on refuse…). Quand on se sent « coincé » dans une situation « sans issue ». Ou pris dans des shémas de répétition ou de réactivité, quand on est mal émotionnellement. Bref, quand quelque-chose ne marche pas pour nous : Fais le contraire ! Et quand on fait le contraire, le contraire fait souvent des miracles !!!! 🙌
Finalement, considérer le contraire, c’est une autre manière de se demander : « Est-ce que c’est vrai ? »… Et de réaliser qu’il y a plusieurs niveaux de réalité. Que le contraire ou le contrepied (de ce qu’on pensait au départ, Byron Katie parle de retournement, « turnaround ») est parfois aussi vrai que notre affirmation première, voire encore plus vrai ! C’est alors (par le jeu des dvaṇdvas mais je ne veux pas trop digresser ici…), que la peur peut se changer en paix. La peine en joie. Le jugement en compassion. L’ombre en lumière… ou en cadeau. C’est l’immense Mary Oliver 🙏 qui rêva ce poème : « Quelqu’un que j’aimais, un jour, m’offrit une boîte pleine de noirceur. Il me fallut des années pour comprendre que cela aussi, c’était un cadeau. » ! Cette citation illustre tellement bien l’idée d’ « Est-ce que c’est vrai ? » et de retournement (Pratipakṣa Bhāvana). Au premier abord, Oui oui oui, c’est vrai, oui les choses sont telles qu’elles me paraissent être, ceci est obscurité, négativité, ceci me fait mal, ceci est mal. Mais avec le passage du temps, tout bien re-considéré (« Est-ce que c’est vrai ? »), non, c’était un cadeau, et c’est ce pan de réalité qui, dans mon expérience aujourd’hui, est le plus réel.
« Tout message qui vous diminue, qui vous fait vous sentir plus faible que les autres, ou tout message qui vous déconnecte de votre source n’est PAS vrai. »
_ Anita Moorjani (qui a vécu une NDE nous parle ici des messages venant de l’au-delà, mais je crois que cela s’applique aussi à nos conversations intérieures..)
Je tiens quand même à préciser, ça me semble important, qu’il ne s’agit absolument pas de nier la souffrance de cette part de nous-même qui se précipite à répondre OUI. Oui, oui oui, c’est ce que je ressens, c’est ce que je vis, je ne peux pas envisager les choses autrement. Ou pas encore, pas maintenant (« Il me fallut des années » !…) Cette part de nous qui n’est pas prête à « changer de regard », qui ne PEUT pas, est une part de nous blessée, qui a besoin d’être vue, entendue, aidée et aimée… Et il vaut mieux sûrement dans ce cas, laisser le temps opérer le retournement en douceur et de lui-même…
Maintenant, cela n’enlève rien au pouvoir transformateur de cette investigation intérieure : « est-ce que c’est vrai » ? Ou, n’est-ce pas plutôt le contraire ? Et si l’on est capable de le faire, faisons-le sur l’instant, au moment-même où nos pensées nous blessent car à quoi bon attendre pour être (plus) heureux ?! Alors osez essayer, osez pratiquer… Osez remettre en cause toutes vos croyances. Adoptez ce questionnement dans votre vie de tous les jours (vous verrez l’habitude se prend vite !), explorez (je n’ai pas dit forcément adoptez, mais explorez…) le point de vue opposé, considérez la deuxième aile, et voyez si cela vous aide et allège vos peines… (c’est essentiellement le but… ☺️)
« Une manière d’alléger notre souffrance, c’est d’inviter une graine de nature opposée à germer. Puisque rien n’existe sans son contraire, si vous avez en vous une graine d’arrogance, vous avez une graine de compassion. »
_ Thich Nhat Hanh
13 bienfaits de l’interrogation « Est-ce que c’est vrai ? »
- ramène à l’objectivité (à la neutralité de « don’t know mind »)
- donne une vision plus complète, plus panoramique et donc plus juste de la réalité (on ne laisse pas ce qui ne nous arrange pas de voir dans l’angle mort…).
- permet d’adopter un point de vue plus élevé, le point de vue de l’aigle (qui voit tout d’en haut et ne craint pas de voler seul…)
- élève donc aussi notre vibration (tout ce que l’on ressent de positif « vibre plus haut », c’est bon pour notre santé !)
- nous rend plus souples et plus ouverts d’esprit (notre cerveau est plus « plastique » et l’on est capable de revoir nos positions si un aspect de la réalité nous avait jusqu’ici échappé.)
- crée de nouveaux passages neuronaux
- nous rend notre capacité à faire des choix conscients et moins « réactifs » (ayant exploré tous les aspects d’une problématique, ayant étudié les arguments opposés, et toutes les « nuances de gris » entre deux, nous pouvons nous positionner en conscience).
- augmente notre tolérance à la nuance ! (notre mental a tendance à penser de manière dichotomique, blanc ou noir, tout ou rien, bien ou mal… or la vie est souvent tellement plus nuancée, tellement plus subtile que ça !…)
- nous permet de faire le tri, la différence entre ce qui est réel et imaginaire, faits et fiction. Le réel = les faits. L’imaginaire = les histoires que l’on se raconte autour des faits = notre interprétation de la réalité. Et ce sont ces histoires (ces mensonges) que l’on brode et que l’on se ressasse intérieurement qui nous font mal. « Ressens la sensation, lâche l’histoire », conseille encore Pema Chödrön…
- nous sort de nos souffrances (pour la raison que je viens de dire), et car ce sont beaucoup nos certitudes qui nous stressent. C’est quand on a décidé, que, de toutes façons, ça allait mal finir… que de toutes façons, les choses sont comme ça et pas autrement. Que les choses sont telles que notre mental nous les dit (or mental ne sait que trop mentir…).
- nous déstresse (le temps de la question lui-même est un temps de pause et de paix)
- nous sort de notre négativité et nous permet de réaliser le luxe !, la chance ! que nous avons de vivre comme nous vivons encore pour l’instant.
- TRANSFORME notre expérience intérieure (et qui sait, extérieure aussi peut-être…)
« Avant de parler, laisse tes mots passer par trois portes :
– est-ce que c’est vrai ?
– est-ce que c’est nécessaire ?
– est-ce que c’est gentil ? »
_ Rumi (mais on attribue presque les mêmes mots à Bouddha, Alan Redpath ou Sathya Sai Baba qui ajoute : « est-ce que cela améliore le silence? »… Sans doute la sage question qu’une classe de lycéens médite sans mot dire…)
Voilà… Je vous souhaite de vous poser les bonnes questions, Gwenaëlle.